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l'atelier de Siloe

Siloé

Ils montaient de nouveau, silencieusement, et Simon regardait la route aveuglante, coupée d'ombres qui reproduisaient sur la neige la forme des troncs. Chacun d'eux avait là sa copie, vigoureuse et nette, attestant la présence, en un certain point du ciel, de l'astre qui envoyait sa chaleur et sa lumière au monde. Ces ombres ne valaient pas par elles-mêmes ; elles n'avaient qu'une valeur de signe ; elles n'étaient que simulacres et allusions : elles étaient l'image d'un autre monde. Et de cette idée en naissait une autre. Car si la source lumineuse restait la même, ces ombres étaient toutes différentes, non pas seulement suivant l'arbre qui les produisait, mais suivant les accidents de la route ; et ainsi, ces troncs si droits que les sapins érigeaient en montées parallèles, épousaient, en s'y projetant, toutes les sinuosités de la route. Et il n'en était pas autrement, d'ailleurs, des larges bandes de lumière qui séparaient ces ombres les unes des autres. Mais alors, ne pouvait-on pas penser que nos esprits étaient, pour les réalités qui parvenaient jusqu'à eux, pareils à cette route inégale où toutes les images se déformaient ?... N'y avait-il pas des moments où Dieu se projetait sur notre vie comme le soleil se projetait sur la route, en y appliquant à la fois des ombres et des rayons qui se déformaient en nous parvenant, sans que Dieu ni le soleil en fussent altérés ?... Simon comprenait maintenant que ces souffrances, ces joies, ces idées qui s'agitaient en lui ne devaient sans doute pas être appréciées en elles-mêmes, mais par rapport à une réalité supérieure qui les commandait, et dont elles étaient le reflet infidèle et souvent caricatural. Mais bien plus, les êtres eux-mêmes étaient-ils autre chose dans leur diversité que des aspects plus ou moins déformés de cette réalité unique ? Non ; ils ne devaient pas être jugés autrement qu'en fonction d'elle : ils n'étaient que les figures éclatantes ou sombres, fidèles ou infidèles, qui émanaient d'un monde de splendeurs situé au-delà de notre vue...

 

Paul Gadenne, Siloé, Seuil, 1974 (paru en 1941), pp.257-258.

 

 

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