Dieu selon Sacha
" Dieu n'est pas, à mon sens, un sujet de conversation et ce n'est pas encore assez que de le prendre au sérieux.
Je tolère assez mal que, d'un air pénétré, les gens s'en entretiennent - et je préférerais que l'on en plaisantât. Je n'admets pas qu'on en dispose - et que tout un chacun le mette à sa portée. Je n'admettrai jamais qu'on se dise averti de ses desseins secrets, de ses ressentiments et de ses préférences. Je n'aime pas qu'on se remette à lui du soin d'être vengé - ni qu'on l'accable de demandes saugrenues. (...) Je n'aime pas qu'on l'amadoue par des promesses - et que, par des offrandes, on ait l'air quelque peu de lui graisser la patte.
Enfin, je n'aime pas que l'homme en fasse un homme - à sa piètre mesure. (...) Et je ne vois que les athées pour m'être plus antipathiques. Ceux-là ne portent pas à rire.
La gravité maussade et froide avec laquelle ils parlent du Néant me rend l'idée de Dieu séduisante au possible. Leurs arguments décolorés tombent à plat - et quand ils cherchent à convaincre, ils en sont pour leurs frais, car la démonstration qu'ils font de la non-existence de Dieu leur donne aussitôt l'air de nier l'évidence.
Ne pas croire en Dieu, c'est repousser une hypothèse ravissante. Nier Dieu, c'est croire en soi-même - comme crédulité, je n'en vois pas de pire ! Nier Dieu, c'est se priver de l'unique intérêt que peut avoir la mort. Et, pour tout dire enfin, l'athée n'est à mes yeux qu'un fanatique sans passion, sans haine, sans amour - sans ironie d'ailleurs - et, partant, sans excuse.
Et, s'il faut en conclure, que faut-il en conclure ? Les témoignages accumulés de la présence au Ciel du Divin Créateur sont loin d'être probants. Mais, d'autre part - assurément - la "preuve du contraire" est inimaginable. Or donc, précisément, il n'en faut pas conclure.
Il faut laisser à Dieu le bénéfice du doute.
Ce doute, dès l'enfance, on devrait le glisser dans nos âmes - et nous saurions dès lors en faire notre profit. Rien au monde n'est plus obsédant que le doute. Aucune conviction n'a sa ténacité. Et quand il est ancré en nous, rien ne peut l'arracher (...) car douter de l'existence de Dieu, c'est douter plus encore de sa non-existence.
Et quant à moi, je doute en Dieu.
Et je me dis que s'il existe, il doit être tellement intelligent, compréhensif, spirituel même, qu'il ne doit pas être surpris du sentiment d'incertitude qui m'anime à son égard - incertitude raisonnée qu'il a d'ailleurs tout le loisir de transformer en certitude à l'instant même. La moindre apparition sera la bienvenue. "
Sacha Guitry, Toutes réflexions faites, Presses de la Cité, 1993, pp.88-90.
Oeuvre de Christiane Richard (pour découvrir son travail voir la rubrique liens de mon atelier)